Achat d’une trial électrique : mais que se passe-t-il dans la tête du trialiste … Épisode 6 …

Suite de notre feuilleton avec ce sixième épisode de Que se passe-t-il dans la tête du trialiste qui passe à l’électrique.

Jean-Luc AUVEILER :

Jusqu’à présent, je n’ai évoqué que les bons côtés de l’Escape, Ses qualités, ce qui m’a plu ou agréablement surpris dans cette nouvelle façon de se franchir nos obstacles préférés et de rouler sur nos sentiers favoris, loin de la ville et des réseaux. Et des bons côtés, des qualités, elle en a à revendre. Mais elle a aussi un côté sombre et les défauts qui vont avec. Certains sont mineurs, mais l’un d’eux est vraiment problématique. Je vais les décrire, par ordre croissant de gravité.

Je ne classe pas dans les défauts le fait que les roues soient équipées de jantes nettement moins classe que celles des motos de trial (EM ou autres) et que, par conséquent, on ne puisse pas monter un pneu sans chambre à l’arrière. Pas rédhibitoire non plus, le choix d’une chaîne 428 alors que les motos de trial sont toutes en 520, y compris la plupart des 125. Je ne considère pas davantage comme un défaut l’absence de petit porte-plaque-feu AR qui n’est ni monté ni même fourni avec la moto. Ces économies font juste un peu tache sur une moto qui est tout sauf bas de gamme.

Premier défaut : l’absence quasi totale d’inertie du groupe propulseur. La seule inertie dont on dispose est celle du rotor lui-même et de la roue arrière (mais très démultipliée, donc négligeable). Il s’ensuit une vivacité moteur très séduisante tant qu’on navigue sur le sec mais qui s’avère délicate à exploiter dès qu’on arrive en terrain glissant. Pour pallier cette insuffisance il y a une solution toute trouvée, qui consiste à monter un volant d’inertie. Tout est prévu pour cela, il n’y a qu’à débourser environ 400 € supplémentaires et pour l’avoir fait, je peux vous dire que c’est comme le jour et la nuit. On a toujours un moteur vif mais sa puissance devient bien plus exploitable. Cerise sur le gâteau, on dispose de 2 masselottes amovibles permettant de régler l’effet. Magique. Si la fée électricité reste assujettie aux lois de la physique, rien ne l’empêche d’améliorer ce qui est déjà excellent. En proposant un dispositif logiciel qui gère l’adhérence, par exemple.

Défaut suivant : le levier de gauche peut être configuré en PRB (frein régénératif progressif) ou PELS (embrayage électronique progressif), mais on ne peut pas modifier facilement ce choix. Le PRB est plutôt destiné à la rando et l’interzone, le PELS est plutôt destiné à un usage en zone ou dans les passages trialisants. Le logiciel de l’Escape contient à priori les 2 fonctions mais pour passer de l’une à l’autre, il faut démonter un cache, débrancher un connecteur et le rebrancher autrement. Tout sauf pratique et pas envisageable sur le terrain. Un simple contacteur au guidon pour basculer d’un mode à l’autre serait un début de solution à minima. Mieux, le choix du mode pourrait être automatique, en fonction de la cartographie (map) : PRB en 1 (interzone-rando), ELS en 2-3 (zone-trial).

Défaut ultime : la totale et libre capacité de rétro-rotation du bloc propulseur. Imagine une montée bien compliquée, bien difficile, bien pentue. Tu attaques courageusement l’obstacle, concentré, réactif. Tout se passe bien jusqu’au moment où tu perds l’adhérence et c’est l’arrêt de progression. Rien de bien grave, avec une moto thermique si tu as calé ton moteur est bloqué, tu peux compter sur la roue arrière comme point d’appui pour te repositionner et tenter de repartir. Tu as l’embrayage pour libérer un peu la roue si nécessaire et la rebloquer ensuite. Tu contrôles. Avec un moteur électrique, tu contrôles comment ? Le moteur ne fait rien pour empêcher la moto de repartir en arrière dans la descente.

J’ai échappé à deux reprises à ce qui aurait pu être un accident sérieux. Dans une grosse montée, échec, la moto recule, impossible de l’arrêter, je perds l’équilibre, je lâche tout. Heureusement, la moto s’est tout de suite plantée dans la terre meuble. Aucun dégât moto-pilote. Juste une grosse frayeur. Ouf. Plus tard, en remontant un ancien lit de ruisseau plein de blocs anguleux, échec au passage de l’un d’eux. La roue arrière patine et la moto repart en arrière avec moi toujours dessus. Nous avons parcouru ainsi deux ou trois mètres avant de finalement choir sans ménagement sur quelques mètres carrés de terre tendre et moussue, oasis providentielle au milieu du torrent de pierres. Sur le moment, j’ai pensé qu’à défaut de la fée électricité, ma fée personnelle avait dû intervenir (et je l’en remercie). En revanche, je n’ai eu aucune pensée bienveillante pour celles et ceux qui n’ont pas compris que là, Houston, on a un problème ! Qu’aurais-je pu faire ? Freiner de l’avant : inefficace. Freiner de l’arrière : avec les pieds occupés à trouver des points d’appui tu fais comment ? Accélérer : j’ai essayé, tout au début, mais l’adhérence perdue, ça n’a pas beaucoup aidé. En fait il y avait une chose à faire, mais mon ADN de trialiste thermique n’a pas eu le réflexe.

Il aurait fallu utiliser le levier de gauche, le PRB, dont la fonction consiste à opposer une résistance à la rotation : ça marche aussi quand la moto recule. L’activer aurait ralenti la descente et m’aurait laissé plus de chance d’éviter les ennuis. A condition que le contacteur aimanté n’ait pas été éjecté parce que si c’est le cas, le moteur est désactivé, le PRB aussi ! Mais avant d’acquérir ce réflexe, bonjour l’entraînement ! Ce que j’ai commencé à faire. Et je me suis aperçu que le volant d’inertie augmente encore un peu la résistance au recul : un argument de plus qui plaide en sa faveur. Mais ça ne suffit pas. La moto recule moins vite, c’est tout. Pour être vraiment en sécurité, il y a deux scenarii. On achète une Escape avec le frein AR au guidon à la place du levier PRB (et on ajoute un bouton pour le RB qui du coup n’est plus progressif) ou on fait modifier sa moto actuelle. Ou bien le moteur doit être capable de se bloquer de lui-même en cas de recul, ce dispositif pouvant être contrôlé par le pilote (comme on le fait avec l’embrayage d’une thermique calée). Il faut que cela fonctionne même lorsque le contact magnétique est éjecté, bien entendu.

J’ai trouvé sur la toile un forum où l’événement est décrit comme ‘marche arrière de la mort’ (je cite). Un ami trialiste (ancien champion régional) m’a confié après avoir essayé une EM 2018 qu’il n’achèterait jamais une moto capable de faire cela. Le problème est connu. Y compris par Electric Motion, je pense. Ce n’est peut-être pas un problème pour les trialistes de niveau S2 ou plus, en pleine forme et très entraînés. Mais c’en est un pour beaucoup de ceux qui, moins jeunes, ou juste moins expérimentés, veulent une moto pas seulement fiable, ludique et performante mais aussi et je dirais même avant tout, une moto sûre. Un dispositif réglant ce problème, ce serait une qualité de plus à mettre à l’actif de la marque, face à une concurrence qui va bien finir par arriver.

La critique est aisée (quoique) mais l’art est difficile. Pour chaque défaut identifié, j’ai donc imaginé une solution. J’ai proposé au bureau d’étude d’EM, début avril, un descriptif détaillé de plusieurs dispositifs destinés régler les problèmes évoqués. Ce sont des solutions purement logicielles ne nécessitant pas ou peu d’éléments matériels supplémentaires. Rien de bien cher ni de trop compliqué. J’attends encore un retour de leur part, mais je remarque que les modèles 2022 seront équipés d’un traction control. Parmi d’autres améliorations. Mais je vous préviens : il va falloir s’habituer parce que des améliorations, il y en aura d’autres, encore et encore. Comme tout processus qui monte en puissance, le potentiel de progression de la propulsion électrique est encore très élevé. Gaz ! Euh, on dit comment, déjà, pour une électrique ?